Neidan - "Élixir interne"

Dans les arts taoïstes, l’alchimie tient une place à part [1] [2]. Elle fût externe pendant les premiers siècles et consistait à absorber des substances sous forme de pilules artisanales, avec en perspective, rien de moins que l’immortalité. Ce procédé avait le fâcheux inconvénient de faire passer de vie à trépas les adeptes fortunés des cercles du pouvoir et, par conséquent, mettait en péril la vie des "magiciens" alchimistes. Il fallait envisager une stratégie moins nocive.

L’alchimie dite interne (Nei Dan) semble prendre le relais à partir du X° siècle. Elle s’élabore avec le même objectif : transformer le vil en noble mais sans apport extérieur. Le laboratoire, les instruments, les ingrédients, les textes et les formules sont le corps de l’alchimiste.

Comment s’y prendre ?

Il y a plusieurs stades dans le raffinement alchimique, la finalité étant la longévité pour l’alchimiste sans envergure ou l’immortalité pour l’alchimiste qui aura franchi la porte du pur Yang, chevauchant ainsi le dragon vers les cieux, en plein jour et aux yeux de tous.

On s’en doutait, le langage de l’alchimie est uniquement métaphorique. Il utilise et jongle avec des images (Xiang) qui varient en fonction du lieu géographique, de la période historique, des techniques et des maîtres qui s’appliquent à la transmission. Petit échantillon du jargon alchimique : Yin-Yang, Tigre & Dragon, trigrammes et nombres, temps à rebours, mercure et plomb, Eau et Feu véritables, cour jaune et palais céleste, cinabre et élixir, tripode et fourneau ...

Autant le dire tout de suite. Pour se lancer dans l’alchimie il faut une solide culture des termes employés et avoir une idée assez vaste de tous les aspects qu’un même terme peut endosser.

Aussi, faut-il être "sérieux", très sérieux même. Si vous êtes sérieux comme un logiciel comptable qui plante à la moindre anomalie, l’alchimie n’est pas pour vous. Par contre, si vous êtes sérieux comme un enfant qui joue, c’est à dire si vous faites preuve d’imagination avec une sincérité non feinte, alors, vous avez peut-être les dispositions pour "enfanter l’embryon", première condition pour la suite des aventures intérieures.

Si vous vous sentez psychologiquement équilibré (ce qui reste toujours délicat à évaluer soi-même), vous pouvez plonger dans la version "heroic-fantasy" de la méditation. Un champ virtuel illimité à multiples dimensions avec cartes aux trésors et messages codés, le tout sans interface ni abonnement [3].

Bien que je traite le sujet sur le ton de l’humour, sachez que ça n’est pas aussi facile que ça en à l’air, surtout si votre ambition est l’immortalité :-)

Philippe Thiriot

[1] Alchimie : Wei Dan 外丹 - Mot à mot "cinabre externe" (alchimie par la prise de substances). Nei Dan 内丹 - Mot à mot "cinabre interne" (alchimie sans prise de substances venant de l’extérieur). Le cinabre est un minerai rouge (vermillon) dont on extrait le mercure. C’est l’image de la transformation possible d’une matière brute en élixir.

[2] Pour des raisons liées à l’éthique ainsi qu’à une clarté de transmission, il est préférable de faire une distinction entre Nei Dan 内丹 et Nei Gong 内功 (bien que le second terme contienne le premier par l’ampleur de son champ d’investigation).

Nei Dan (élixir ou alchimie interne) peut-être mis en parallèle avec une forme de religiosité par les images qu’elle nécessite et par la perspective d’un arrière monde accessible et peuplé d’immortels. On peut aussi faire le parallèle avec le courant philosophique que l’on appelle chez nous "idéaliste".

Nei Gong (travail interne) est un raffinement du corps développant progressivement une perception des mouvements internes toujours associés à une sensation qui peut devenir très subtile, à la limite du dicible et de l’indicible. C’est donc également une attitude spirituelle mais qui se rapproche du courant philosophique occidental dit "matérialiste" (le matérialisme n’est pas incompatible avec une spiritualité ou une forme de sacré).

[3] Bien qu’elle puisse être assimilée à un grand jeu, l’alchimie interne reste une discipline relativement exigeante. Elle requiert des capacités d’imagination et d’attention qui ne sont pas courantes et qui se travaillent en amont (Taichi Chuan ou Qi Gong). Cette activité qui engage l’intime doit se pratiquer dans un climat de confiance pour éviter de s’enfermer dans une relation de dépendance et de manipulation. La parade est simple : on ne commence jamais un cheminement par l’alchimie interne. Une bonne décennie de pratique préalable, pour faire connaissance avec soi, est indispensable.