Exercitation

Personne ne peut organiser son aller.
Il en va tout autrement du retour.

Nous arrivons dans un monde structuré par une pensée, une histoire, un territoire et une époque [1]. Pourtant, il nous faudra bien s’en retourner un jour ou l’autre. Retourner où et comment ? Mystère. Il nous appartient d’imaginer ou pas, ce "retour à l’origine".

Si certaines spiritualités promettent enfers et paradis, quelques taoïstes, usant de variantes infinies, pratiquent avec assiduité le retournement [2]. Il s’agit, par divers exercices, de cultiver la transformation progressive d’une conscience à partir d’un corps. Cette préparation s’exerce avec une jubilation non feinte sans pour autant précipiter l’échéance du départ.

Ce genre de voyage ne se prépare pas du jour au lendemain. Nous ne sommes pas dans le registre touristique [3]. Un corps doit d’abord générer un souffle qui orientera une conscience dans une direction [4]. Le moment venu, il s’agira d’être détendu pour profiter pleinement de la douceur de la transformation [5].

Traverser, calmement [6].

[1] Nous émergeons d’un chaos originel, de Wuji, de l’indistinct, de l’obscur, du mystère. Nous traversons notre vie à l’image d’un cheval qui saute par dessus un ravin et arrivé sur l’autre rive une transformation nous ramène à l’origine. Telle est, condensée en quelques mots, une des multiples représentations taoïstes du cycle de la vie.

[2] Yi Jing - 63ème Gua - Déjà traversé.
Symbole d’organisation et de "bon ordre", c’est une situation qui contient le retour au chaos en germe.

[3] Yi Jing - 56ème Gua - Voyageur.
Ce comporter avec prudence et humilité dans un environnement mal connu.

[4] Jing - Qi - Shen - Dao.
La conscience prend conscience d’elle même.

[5] Michel de Montaigne raconte son état après sa chute de cheval alors qu’il pense mourir. Essais - Livre II - Chapitre 6 - Exercitation.
"Il me semblait que ma vie ne s’accrochait plus qu’au bord de mes lèvres, et je fermais les yeux pour mieux, me semblait-il, la pousser dehors ; je prenais plaisir à m’alanguir et à me laisser aller. Cette idée ne faisait que flotter à la surface de mon esprit, elle était aussi molle et aussi faible que tout le reste ; mais en vérité, non seulement elle était exempte de déplaisir, mais elle avait même cette douceur que ressentent ceux qui se laissent glisser dans le sommeil [...] Cependant mon assiette [état, disposition] était à la vérité très douce et paisible ; je n’avais aucune affliction ni pour autrui ni pour moi : c’était une langueur et une extrême faiblesse, sans aucune douleur [...] Quand on m’eut couché, je sentis une infinie douceur à ce repos [...] Je me laissais couler si doucement, et d’une façon si molle et si aisée, que je ne sens guère autre action moins pesante que celle-là".

[6] Xème aile du Gua 63 (voir note 2).